Valentin Lautier, CEO d'Homaio
Investir dans le carbone et combattre le réchauffement climatique !
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Ton parcours ?
J’ai un cheminement plutôt entrepreneurial, entrecoupé de missions de conseil, notamment auprès des startups sur des sujets transactionnels. Je suis tombé dans la marmite de l'entrepreneuriat en 2010, année où j’ai créé une première fintech de paiement mobile. Ensuite, j'ai créé d'autres entreprises dans des secteurs variés : une agence d’architecture en réalité virtuelle lorsque la réalité virtuelle a commencé en 2015, puis une marque de maquillage en réalité augmentée en 2017. C’est à ce moment-là que j'ai trébuché, un peu par hasard, sur le marché du carbone et les systèmes d'échange de quotas d'émissions. Pour moi, c'était l'intersection parfaite entre un fort potentiel de rendement financier et impact réel sur les trajectoires de réduction d’ émissions. J’ai donc voulu participer à ce marché et détenir des permis carbone. Cette volonté s’est incarné en Homaio, créé il y a environ 9 mois.
La mission d’Homaio ?
Homaio une plateforme d'investissement qui permet aux investisseurs particuliers de participer au système d'échange de quotas d'émissions. Ce faisant, ils accélérent les trajectoires de décarbonation des industries assujetties à ce système, soit la majorité des industries européennes. Notre mission, c’est de rendre le marché accessible, c’est-à-dire, permettre à des particuliers de participer et d'investir, mais aussi de le rendre intelligible pour le plus grand nombre.
Le déclic qui t'a décidé à lancer Homaio ?
Quand je suis tombé pour la première fois sur un article évoquant ce marché, je suis tombé de ma chaise. Je découvrais enfin un marché gigantesque à la courbe de croissance très séduisante,et dont je n’avais pourtant jamais entendu parler !
J’avais laissé passer des événements financiers majeurs comme l’IPO de Google ou le début des cryptos. Là, je comprenais qu’on était au début d’une tendance systémique, que ces permis allaient constituer la classe d’actif dominante de la génération à venir.
Même si je ne viens pas de ce monde là, j’ai créé suffisamment d’entreprises, fait suffisamment d’opérations capitalistiques, pour avoir une bonne connaissance financière. Donc sans maitriser tous les détails, je sentais qu’il y avait des signaux faibles d’un changement gigantesque.
Il m’a fallu quelques années de réflexion, de frustrations, parfois d'entêtement, mais finalement j’ai réussi à créer Homaio.
Ce marché a une histoire ambiguë, comment évolue-t-il ?
Effectivement, c’est un marché qui a connu quelques loupés (c’est un euphémisme), notamment cette histoire de fraude à la TVA sur les quotas carbone.
Ce qu’il faut rappeler, c’est que ce marché, à l'intersection entre une devise et une matière première, a été construit de toutes pièces par les instances européennes, par le régulateur. C'est une devise, celle de la décarbonation, qui se comporte comme telle : elle est fongible dans le temps, dans l'espace, ce n'est pas périssable, il n'y a pas de frais de stockage, ça peut être une réserve de valeur. En même temps, c'est une matière première, parce que les 15 000 entreprises concernées, notamment les industriels, en ont besoin pour opérer. À chaque fois qu'ils émettent une tonne de CO2, ils doivent avoir un permis d’émission de carbone correspondant.
C’est un marché qui a énormément évolué avec le temps : il a été ouvert aux institutions financières, il est désormais régulé par une sorte de banque centrale (qu'ils appellent le mécanisme de stabilité ou la réserve de stabilité du marché). Aujourd'hui, c'est un marché qui couvre la moitié des émissions européennes, qui a entraîné une chute de 40% des émissions industrielles soumises, dont le volume d’échanges représente 1 000 milliards d'euros !
C’est donc dommage que le pilier de la stratégie climat et énergie de l'Union européenne soit si méconnu et/ou mal connu par les particuliers.
Comment expliquerais-tu le modèle d’Homaio simplement ?
Pour bien comprendre Homaio, il faut revenir au cœur du mécanisme des droits d’émission carbone.
En Europe, certaines entités économiques, des industriels pour la plupart, sont soumises au mécanisme de la compensation carbone. Cela signifie que pour chaque tonne de CO2 émise, elles doivent posséder un permis d’émission de gaz à effet de serre correspondant. Seulement, l’Union Européenne, pour limiter ces émissions de carbone, diminue d’année en année le plafond d'émission. Actuellement, ce plafond est 1,4 milliard de tonnes de CO2 en Europe au total, il y a 1,4 milliard de permis en circulation, et il diminuera petit à petit jusqu’à arriver à zéro.
Ces industriels, pour opérer, doivent donc acheter des permis d’émission carbone équivalents : ça crée un marché où se rencontrent des acheteurs et des vendeurs de permis.
Jusqu’à présent, ce marché était limité aux industriels, les particuliers ne pouvaient pas participer. Ce qui constituait pour moi un non sens démocratique, économique et financier puisque ce sont les particuliers qui sont les plus concernés par le changement climatique !
C’est la raison pour laquelle on a créé Homaio, véhicule par lequel on achète les permis d’émission carbone. Ensuite, via un instrument financier dont on est aussi le distributeur, on va permettre aux particuliers d'acheter des parties de ce permis. On fonctionne un peu à l’image d’un stable coin, qui émet d'un côté un token et qui est adossé à une devise. Sauf qu’Homaio émet des obligations, et n’est pas adossé à une devise mais à des permis carbone européens.
Quel est l’enjeu côté investisseur ?
Grâce à Homaio, l’investisseur participe à deux choses :
D’une part, l'appréciation progressive du prix du permis : il achète par exemple des permis carbone qui valent 68 aujourd’hui, il les revend 100 en 2027, il aura fait une plus-value.
D’autre part, c’est d’avoir un effet réel sur l'accélération des trajectoires de décarbonation des acteurs économiques européens.
Ce qu'on souhaite être, c'est la plateforme d'investissement du climat, de proposer des produits à l'intersection entre l'impact et le rendement.
Quelle tendance suit le rendement ?
Même si c’est un actif très volatile, mathématiquement, c’est un produit qui est construit pour s'apprécier dans le temps.
Comme tous les produits financiers, son cours suit l’offre et la demande. La demande est très fluctuante, en fonction de la météo, du mix énergétique, de la consommation énergétique des industriels et des ménages. Avec des hivers doux comme celui qu’on vient de connaître, les besoins de chauffage ont chuté, donc la demande de permis aussi par exemple.
De son côté, l’offre est très stable par nature, puisqu’elle est fixée par l'Europe, par la loi. Cela dit, elle est en constante baisse.
C’est ce qui fait que malgré la volatilité à court terme, c’est une valeur qui a pris 25% par an en moyenne sur les 10 dernières années.
Le risque de perte d'investissement existe bien sûr, le rendement n’est pas garanti, ni le capital. Ce n’est pas un produit d’épargne. Mais on constate quand même que c’est un produit fait pour avoir un rendement positif à long terme.
Le business model d’Homaio ?
On est à la fois l’émetteur et le distributeur du produit : on l’a construit, on émet nous-même les obligations et nous les distribuons. Même si c’est une posture atypique parmi les plateformes d’investissement, notre modèle économique est très classique. On se rémunère de deux manières :
on prélève un pourcentage sur les montants investis ;
on applique des frais de garde tous les ans sur la valeur moyenne du portefeuille.
En dehors de cela, il n’y a rien : pas de frais de sortie, pas de frais de transaction, etc.
À noter que notre ticket d'entrée est fixé à 1000 euros, de manière à rendre notre produit le plus accessible possible. D’un point de vue business, on a tout intérêt à se concentrer sur des gros investisseurs mais c’était important que tout le monde ou presque puisse y participer.
Êtes-vous régulés par l'AMF ?
Pas encore mais c’est quelque chose vers lequel on doit évoluer. Aujourd’hui, on est une société anonyme qui émet des obligations et on ne se distribue qu'en placement privé, donc auprès de cercles restreints d'investisseurs. Pour l'instant, on n'a pas besoin d'être régulés par l'AMF, ce qui viendra quand on gérera plus de volume. Et c'est l'objectif !
La stratégie d'acquisition ?
Sur un produit nouveau comme le nôtre, le bouche-à-oreille fonctionne bien. La clé, c'est de créer de la confiance : on rencontre nos clients, on organise des calls avec eux pour expliquer le produit et en faire des ambassadeurs.
On essaie aussi de créer de la notoriété en passant dans les podcasts, des newsletter, de manière à toucher des communautés préexistantes sur nos sujets : finance, climat, écologie, environnement…
On travaille par ailleurs avec des partenaires, des family office, des banques privées, qui souhaitent diversifier leurs actifs, chercher un investissement un petit peu alternatif et très faiblement corrélé aux autres classes d'actifs en distribuant notre produit à leurs clients.
Quelle différence avec les produits d’investissement ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) ?
Le problème c’est que l’ESG en soi, ça ne veut pas dire grand-chose. Selon une étude de EY, il y a 700 standards différents, chacun ayant des dizaines ou des centaines d'indicateurs, pour lesquels il est très difficile de sortir un score uniforme distinguant les produits les uns des autres. C’est aussi très opaque. Je n'ai jamais entendu quelqu'un me dire « si tu investis dans ce fonds ESG, tu a un impact de tant».
C’est d’ailleurs le point de départ de mon aventure. J’avais un peu d'argent à placer, je voulais investir dans quelque chose qui avait un impact réel sur les émissions, tout en préservant mon rendement, parce que je ne suis pas encore en mesure d'être complètement philanthrope ! Où est-ce que je le mettais ? J'étais assez peu convaincu par ce qui était proposé. Donc, je me suis dit « ok, on repart d'une feuille blanche, quel est le produit qui incarne le mieux cette intersection-là ? » Pour moi, ce sont les permis carbone.
Avez-vous des concurrents au niveau européen ?
Toute personne proposant un produit d'investissement est un concurrent ! Il y a par exemple des produits financiers adossés à des contrats à terme sur le carbone, des produits dérivés qui ne détiennent pas les permis.
Nous ce qu’on veut, c’est avoir un impact sur les trajectoires de décarbonation, donc il faut qu'on contrôle le permis. Une autre boîte est construite sur la confiscation des permis carbone mais elle ne parle que des institutionnels. Finalement, sur l'accessibilité des permis carbone pour les particuliers, il n'y a personne d’autre que nous, ce que je trouve dommage.
Quelques chiffres sur votre activité ?
Cinq personnes et trois postes ouverts.
À peu près un million d'euros collecté
Un ticket moyen d'à peu près 10 000 euros.
1,5 million levé lorsqu'on a créé la boîte l'année dernière.
Le challenge des trois prochains mois ?
Recruter et collecter ! On est entré dans une phase où tout ce qui ne va pas accompagner soit la croissance des collectes, soit le recrutement, devient hors priorité. Certes, la boîte a été immatriculée il y a huit mois, on a ouvert un marché qui était jusque-là inaccessible, on a des clients dans sept pays différents : il y a des choses encourageantes. Malgré tout, avec 1 million d'euros sous gestion, on n’existe pas, il faut qu'on accélère. Ce qui exige de recruter de nouvelles personnes, mais qui ont systématiquement un énorme niveau d'énergie et d'engagement, qui comprennent ce qu'on fait et qui ont envie d’y contribuer.
Comment imagines-tu Homaio dans trois ans ?
Devenir LA plateforme d'investissement du climat. C'est-à-dire une plateforme sur laquelle on se rend les yeux fermés pour trouver un produit qui propose à la fois du rendement et un impact quantifiable.
Pour ce faire, il faut qu'on soit présent sur l’ensemble des classes d'actifs, sur tous les grands marchés carbone, parce qu'il y en a plusieurs, et qu'on puisse également distribuer des produits déjà structurés sur d'autres types d'actifs. Des obligations vertes par exemple, ou du private equity à impact, des Groupements Forestiers d’Investissement. Il y a plein d’autres exemples.
J'ai envie qu'on prenne cette place, parce qu'aujourd'hui, les plateformes d'investissement sont trop segmentées par classe : crypto, SCPI, private equity, etc. Je suis persuadé que cette distinction va s’estomper petit à petit autour de la question de l’impact de l’investissement, du coût de cet impact, du rendement qui est associé… Dans les années à venir, je pense vraiment qu’on va sortir du couple risque-rendement pour intégrer une finance multidimensionnelle risque-rendement-impact. Ça suppose de créer cette nouvelle dimension dans une plateforme d'investissement, voire de construire les actifs qui correspondent. Idéalement, avec de gros volumes !
Une anecdote sympa ?
À l’heure actuelle en France, on n'est pas très nombreux à avoir développé une expertise sur ces marchés. Conséquence : on nous demande de participer à des initiatives de recherche, des labos de recherche en économie, en finance. On a une vraie crédibilité sur le sujet alors qu’il n'y a pas si longtemps, ça se compte en mois plutôt qu'en années, on ne connaissait rien !
Quand j'ai commencé à m’intéresser au sujet par exemple, je suis tombé sur le site de EEX, la place de marché des permis carbone européen. J'ai appelé le standard pour savoir comment ouvrir un compte. S’en est suivi un dialogue de sourds, où mes interlocuteurs ne comprenaient pas ce que je voulais dire, et moi ne comprenant pas pourquoi ils ne comprenaient pas ! Je pensais que je pouvais juste ouvrir un compte et trader, c'est dire mon ignorance totale du sujet.
En l'espace de quelques mois, on connaît tous les acteurs, on les a tous rencontrés, on a développé une expertise incroyable. Je pense que c’est une leçon qui se transpose à beaucoup de secteurs: développer une expertise peut se faire en l’espace de quelques mois à quelques années. Ce qui, en fait, est extrêmement rapide!
Un mantra chez Homaio ?
En ce moment, mon mantra c’est : “C’est censé être dur”. Nos slides se terminent par « c'est censé être dur » (rires). Ce n’est pas du masochisme, c’est juste notre réalité. Il y a tout à faire, il y a tout à construire, on essaie de rendre réel quelque chose de profondément nouveau, capable de faire une vraie différence. Et on s’attaque à un marché nouveau, méconnu, peu compris. Recruter, c'est un combat. Gérer le temps, c'est un combat. Tout est un combat. Mais en même temps, « Welcome to the Grind », bienvenue dans l'entrepreneuriat, c'est ça le jeu !
Une dernière chose à partager ?
Je pense que parfois, il faut accepter qu'il y ait un certain degré de complexité et de nuance, que tout ne vient pas en claquant des doigts. Si lutter contre le réchauffement climatique était simple, ça se saurait ! Oui, le marché peut sembler complexe, mais il existe depuis 20 ans, il est massif, il a fait ses preuves, il vaut le coup d’affronter un peu de complexité.
L’autre chose, c’est que j’aimerais qu’on soit un peu indulgent entre particuliers, avec sa famille, avec ses amis, avec les gens qu'on côtoie ; et beaucoup plus intransigeants avec les grandes entreprises privées, les décideurs politiques, qui ont un réel pouvoir.
On est matraqué à longueur de journée d'images, d'histoires, de réalités imaginaires, de rêves qui nous poussent à un monde qui consomme toujours plus. C'est difficile de s'en défaire, il faut essayer bien sûr, mais ne pas culpabiliser ceux pour qui c’est plus dur.
En revanche, on doit être beaucoup plus inflexibles à l’égard des entreprises gigantesques qui occultent depuis des décennies ce qui est en train de se passer. Et à l’égard des gouvernements qui, clairement, ne sont pas à la hauteur. Les gouvernements élus existent car nous leur déléguons le pouvoir d’organiser la vie en société. À eux d'exercer ce pouvoir pour faire bouger les lignes !
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