Thierry Vignal, président de Masteos (état des lieux 2024)
L'investissement locatif sans les galères du locatif !
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Peux-tu rappeler la mission de Masteos ?
Masteos est une start-up qui accompagne les particuliers dans leur investissement locatif. On aide nos clients à sourcer le bon bien, à le rénover, à le meubler… On le met ensuite en location et on en assure la gestion locative partout en France et en Espagne.
Notre première interview remonte à août 2021. Depuis le marché immobilier s’est retourné. À partir de quand Masteos a commencé à être impacté par la conjoncture ?
On a créé Masteos en 2019, et on a eu presque deux ans sympas au niveau des taux. À partir de la rentrée 2021, moment de notre 1ère interview justement, les taux ont commencé à grimper. Au départ, l’augmentation a été relativement digeste mais en 2022, l'accélération de la croissance des taux a été extrêmement violente et les répercussions ont commencé à se faire sentir. Fin 2022, le marché de l'investissement locatif a implosé parce que les taux d'emprunt étaient devenus supérieurs au rendement net moyen. De fait, en 2023, le marché a dégringolé, et ce plus rapidement que notre capacité à réduire notre structure de coûts. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on a eu la chance et le malheur d'être très bon sur le fundraising VC. Avec Masteos, on a levé un peu plus de 60 millions d'euros en 18 mois. Le problème, c’est que cet argent avait vocation à être dépensé et a considérablement alourdi notre structure de coûts. Dans un contexte de marché euphorique haussier, c’est porteur. En revanche, cela devient très problématique quand le marché vire brutalement comme on l’a connu. En bref, on avait été designé pour faire de l'hypercroissance dans un contexte haussier, pas pour résister à une tempête aussi violente.
Fin 2023, nos actionnaires nous ont annoncé qu’ils ne refinançaient pas Masteos : on s’est donc retrouvé à court de cash et en procédure de redressement judiciaire.
Comment avez-vous réagi face aux signaux d’alerte ?
On a immédiatement réagi, mais petit à petit, ce qui n’était malheureusement pas la bonne réponse. Dès la fin de l’année 2022, on a commencé à licencier : 5 personnes, puis 5 autres, etc. On a réduit nos coûts, en fermant des bureaux (on a fermé la Belgique par exemple), en variabilisant certains postes. On est passé d'une équipe de commerciaux internalisée à un réseau de mandataires comme IAD. On a également sous-traité les travaux alors que les ouvriers étaient salariés en CDI à nos débuts...
À postériori, la bonne réponse aurait été de prendre des décisions plus drastiques dès le début, prévoir un plan de licenciement de 200 personnes… Mais personne n’avait mesuré l’étendue de la catastrophe ! En plus, à l’époque où le marché a commencé à se retourner, nos ventes se portaient bien : jusqu'à la fin 2022 et même début 2023, on réalisait encore quasiment 150 ventes par mois. C’était donc très difficile de justifier des mesures aussi violentes auprès de la presse, de nos salariés, alors qu’il y a ce lag entre les taux et les transactions locatives.
Penses-tu qu’avec un marché du travail plus flexible, à l’anglo-saxonne, vous auriez passé la crise sans passer par la case redressement judiciaire ?
Non. Cela nous aurait aidés à la marge, mais cela ne nous aurait pas sauvés. Notre marché connaît une crise historique, les taux ont quadruplé en un an ! La seule chose qui aurait pu nous protéger, c’est d’être une PME sans aucune structure de coût. On a levé des fonds (beaucoup trop sans doute), les taux ont explosé, l’aventure était vouée à l’échec. Malheureusement, on n'est pas les seuls affectés : Luko par exemple, est dans la même situation, même si ce n’est pas de la PropTech pure.
Finalement, qu’est-ce qui a le plus pesé dans la mise en redressement judiciaire de Masteos : la contraction du marché due à la hausse des taux ou le fait que vos actionnaires vous aient lâchés ?
Les deux ! En réalité, les VC dépendent eux aussi du niveau de liquidité macroéconomique. Quand les taux sont bas, l’argent est “gratuit” et le marché est inondé de liquidités : les fonds VC déploient énormément de capital sans regarder à la dépense, sur des valeurs assez agressives. À l’inverse, quand les taux remontent, les liquidités s'assèchent. Nous qui sommes une startup immobilière financée par les VC, nous avons été impactés sur les deux fronts : les clients se sont retirés, les VC ont suivi… C’est la double peine.
Si tu avais connu le scénario à l’avance, comment aurais-tu entrepris Masteos ?
J’aurais quand même levé des fonds, pour les facilités d’accélération que cela permet, mais de manière moins brutale. J’aurais par exemple refusé les chèques de 20 millions. Plus précisément, j’aurais accepté 10 millions, puis avisé pour les 10 millions restants plus tard. Le tort des levées de fonds faramineuses, c’est qu’elles n’incitent pas à être “centimiés” dans la gestion des coûts. On oublie que le marché de l’immobilier est finalement très opérationnel, assez peu compatible avec les trajectoires explosives propres au SaaS et à l'intelligence artificielle, qu'attendent les VC. Dans l’immobilier, c’est mieux de garder une forme de progressivité.
Aujourd’hui Masteos est en redressement judiciaire : cela ne signifie pas la fin de la start-up mais la reprise par un repreneur. Peux-tu nous en dire plus sur les candidats ?
Trois groupes sont en concurrence à la reprise :
Novaxia : une grosse SCPI qui gère un peu plus de deux milliards d'euros qui cherche à se diversifier dans les services. C'est un acteur qui a l'air insolite, assez rassurant d’un point de vue financier, qui a fait une belle proposition.
investissementlocatif.com : un de nos concurrents historiques qui, en dépit d’un nom vieillissant, a une vraie expertise sectorielle et une équipe formidable. On est très emballé par le projet qu’ils proposent, même s’ils ont moins de budget que Novaxia.
Atlantis Immo : un groupe qu’on connaît moins, qui a racheté un petit concurrent l’année dernière : Brickmeup
En sais-tu plus sur leur vision stratégique en cas de reprise ?
Investissementlocatif.com veut vraiment consolider le secteur. Ce sont des gens du métier, ils se sont lancés il y a 12 ans, sont rentables… Ils savent faire et sauront piloter la machine. Au-delà de cela, ils ont un très fort niveau d’engagement : le budget de reprise qu’ils proposent par rapport à leur assise financière est très important. C’est un peu comme s’ils “faisaient tapis”, je trouve ça très courageux de leur part.
Novaxia a une ambition européenne, à la hauteur de ses moyens financiers. Ils veulent créer des synergies avec leurs autres activités, qu’on source les biens pour leur propre SCPI... Leur proposition est assez séduisante également.
Quant à Atlantis Immo, nous n’avons pas plus d’informations.
Avec la reprise de Masteos, crois-tu encore à l’ambition que vous vous étiez fixée sur les objectifs à moyen et long terme ; à savoir d’être le leader européen de l’investissement locatif clé en main ?
Nous n’avons pas d’information sur la stratégie exacte des repreneurs, c’est donc difficile de te répondre… On ne sait pas par exemple quelle équipe de management sera reprise, si nous ferons, Maxime (mon associé) et moi, partie de l’aventure.
Mon intime conviction, c’est que pour reconquérir le marché, il faudrait commencer par éviter de reproduire les erreurs du passé. Quand on lève des fonds, on se sent plus redevable vis-à-vis de l'actionnaire que du client. Donc mon intuition, c’est au contraire de revenir à une approche centrée sur le client, à une entreprise ancrée sur le terrain. Moins de management, plus d'opérationnel, scaler une fois que le produit est maîtrisé, sans tricher en prenant des stéroïdes financiers…
Pour ton associé Maxime et toi, Masteos était votre première expérience d’entrepreneur. Qu’avez-vous appris ?
On n'avait pas de grandes attentes donc, en dépit de tout cela, on est ravis de l'aventure. Si on commence par le positif, on a accumulé une connaissance incroyable et on repart avec un capital extra financier fabuleux.
Le revers de la médaille, c’est qu’on repart sans cash et même extrêmement endetté… On n’a jamais vendu d’actions, on ne s'est pas énormément payé pour montrer l'exemple et depuis l'enclenchement de la procédure il y a trois mois, on n’est plus rémunérés… Cela montre aussi que derrière des valorisations à 9 chiffres se cachent parfois certaines misères entrepreneuriales.
Cela dit, je reste sur un sentiment optimiste : c'est une super aventure, elle n'est pas finie et je pense qu'on arrivera à normaliser notre situation financière.
Je repensais à la pyramide de Maslow récemment : même si le bas de la pyramide n’est pas assuré, j’ai ce sentiment d'accomplissement du haut de la pyramide qui me permet d’aller de l’avant.
Source : Wikipedia
Avec Masteos, vous avez été une source d’inspiration dans tout le secteur de la Proptech, même de l’immobilier et de la tech en général. Si tu étais amené à ne pas continuer chez Masteos, quelle serait ta prochaine aventure entrepreneuriale ?
Merci pour ces mots ! Je pense que la marque a effectivement été inspirante à ses débuts mais qu’elle a très vite perdu ses ondes positives après les levées de fonds, quand le groupe est devenu très financiarisé. Si les repreneurs ne me font pas de propositions, je me vois recréer un projet dans l'immobilier très rapidement, relancer une marque qui inspire.
L’avantage de ce type d’échecs, c’est qu’ils sont a priori suffisamment traumatisants pour ne pas faire les mêmes erreurs deux fois ! Je suis fort de cette expérience, je saurai capitaliser sur ce revers pour faire en sorte que ma boîte d'après soit un peu plus optimisée. J’ai déjà mon idée sur la nature de ce que je pourrais faire mais je ne peux pas en dire plus, car cela dépendra de si je reste ou non aux rênes de l’aventure Masteos. Affaire à suivre ;)
Est-ce qu'il y a une dernière chose que tu aimerais ajouter avant de conclure l'interview ?
Oui, deux choses. D’abord, je voudrais rassurer ceux qui ont une ambition entrepreneuriale : ne vous laissez pas dissuader par la peur de l’échec ! L’aventure est tellement enrichissante que ça vaut largement le coup, même si on doit endurer des moments ou des critiques franchement désagréables, notamment sur les réseaux sociaux !
La deuxième, c’est que j’espère que Masteos servira de contre-exemple à tous ceux qui entreprennent dans une période de bulle, sur la partie financière. Si on fait un bond ne serait-ce que d’un an dans le temps, on réalise qu’on était dans un monde parallèle, en vase clos : parler de profit c'était injurieux, il fallait cramer de l’argent, cela voulait dire qu’on allait vite… Je reconnais volontiers qu’on a très mal géré cette affaire. On n’a pas pris les décisions qui paraissent faciles vues de l'extérieur mais qui n’étaient pas si simples à prendre. D’un autre côté, les actionnaires ont été complices de cette situation, à aucun moment ces personnes censées être plus intelligentes que nous n’ont tiré la sonnette d’alarme. Alors que n’importe qui aurait bondi en apprenant qu’on perdait des montants à 7 chiffres tous les mois… À commencer par les juges du tribunal de commerce !
Mon souhait, c’est que les entrepreneurs réalisent que quand l’argent est trop facile, il y a un loup, une situation qui ne sera pas éternelle. Mieux vaut ne pas s’emballer, être un peu plus prudent et conservateur dans la gestion des finances. J’espère que mon mea-culpa public aura servi à cela : faire comprendre que dans l’immobilier, mieux vaut dix plaquistes au board que dix financiers !
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